[- RETOURNER A L'ACCUEIL -]


Faire ses comptes avec le sionisme

Deux poids lourds du militantisme intellectuel propalestinien interviennent dans la polĂ©mique entre Santiago Alba Rico et RaĂșl SĂĄnchez Cedillo sur la responsabilitĂ© historique de l’État d’IsraĂ«l dans la tragĂ©die du Proche-Orient

Faire ses comptes avec le sionisme : un débat à quatre voix

photos

Santiago Alba Rico, RaĂșl SĂĄnchez Cedillo, Khalid Amayreh et Gilad Atzmon, 26 octobre 2006

Introduit par Manuel Talens, traduit par Marcel Charbonnier, Fausto Giudice et Xavier Rabilloud

Un Palestinien “de l’intĂ©rieur”, un ex-IsraĂ©lien et deux EuropĂ©ens dĂ©battent de la question de fond de la lĂ©gitimitĂ© d’IsraĂ«l : y a-t-il une vie aprĂšs le sionisme ?

Introduction : enfoncer le clou

Par Manuel Talens


Faisant partie de ceux qui pensent que le sionisme est une forme de racisme et refusant la fausse dĂ©duction selon laquelle toute attaque contre l’appareil institutionnel de l’État d’IrsaĂ«l serait une marque d’antisĂ©mitisme (alors qu’il s’agit de politique), les textes matĂ©rialistes de Santiago Alba Rico me plaisent gĂ©nĂ©ralement, non seulement pour le langage limpide et assurĂ© qui les caractĂ©rise, mais aussi par affinitĂ© idĂ©ologique. J’ai donc aimĂ© son article IsraĂ«l est le danger [Diagonal, N.Âș 35, 19-07-2006]. Quelques semaines plus tard, j’ai lu avec inquiĂ©tude la rĂ©plique de RaĂșl SĂĄnchez Cedillo, Le danger, c’est la guerre (infinie) et le fanatisme [Diagonal, N.Âș 38, 14-09-2006], une collection de rengaines cryptosionistes de cette gauche dĂ©cafĂ©inĂ©e qui finit toujours par apporter de l’eau au moulin de ses sophismes. L’affrontement dialectique entre les deux penseurs mĂ©ritait un dĂ©bat de haut niveau, me suis-je dit et, sans trop y rĂ©flĂ©chir, j’ai demandĂ© la collaboration de deux personnages importants dans le domaine thĂ©orique de la rĂ©sĂ­stance palestinienne : l’un est Gilad Atzmon –ex-IsraĂ©lien et ex-juif, musicien, Ă©crivain et ennemi fĂ©roce du sionisme Ă  partir d’une position non-marxiste – et l’autre est Khalid Amayreh, Ă©crivain et journaliste palestinien respectĂ©, collaborateur rĂ©gulier de Middle East Internacional et Al-Ahram. Tous les deux ont acceptĂ© d’emblĂ©e. J’ai donc mis en marche la machine de Tlaxcala – le rĂ©seau de traducteurs pour la diversitĂ© linguistique dont je fais partie -, traduisant en anglais les deux articles d’Alba Rico et SĂĄnchez Cedillo pour les rendre accesibles Ă  mes invitĂ©s, puis traduisant en espagnol leurs rĂ©actions. D’autres membres de Tlaxcala traduisent ces quatre textes en français, en italien et en allemand (d’autres langues suivront) pour que, rapidement, la version multilingue du dĂ©bat puisse ĂȘtre consultable sur
www.tlaxcala.es et sur d’autres sites alternatifs.
Je cĂšde donc la parole Ă  Khalid Amayreh et Gilad Atzmon pour qu’ils enfoncent le clou d’une dĂ©fense inconditionnelle et nĂ©cessaire du peuple palestinien, sans entraves sionistes, c’est-Ă -dire racistes. Voici donc le dĂ©bat. Ami lecteur, informe-toi et participe, si tu le souhaites.

Traduit de l’espagnol par Fausto Giudice

C’est IsraĂ«l, le danger

par Santiago Alba Rico

Depuis plus de soixante ans, l’Occident investit des sommes sans prĂ©cĂ©dent en armement, en dollars et en paroles, Ă  seule fin de cacher deux idĂ©es Ă  la fois simples et terribles, lesquelles, mises ensemble, ont de quoi nous faire trembler. La premiĂšre, c’est que la Palestine reprĂ©sente la faille morale du monde globalisĂ©, le point de rupture sur lequel le monde est d’ores et dĂ©jĂ  en train de se fracturer. Quant Ă  la seconde, c’est qu’IsraĂ«l constitue la plus grande menace non seulement pour la vie et la dignitĂ© des Palestiniens, mais aussi pour tout espoir de paix et de stabilitĂ© sur notre planĂšte.

Les Palestiniens ne sont peut-ĂȘtre pas le peuple le plus brimĂ© sur terre, mais ils sont manifestement le peuple le plus ouvertement brimĂ© sur terre ; ils ne sont peut-ĂȘtre pas le peuple qui a le plus souffert, mais ils sont le peuple dont les souffrances sont les plus visibles, de maniĂšre continue. Paradoxalement, cette visibilitĂ© (que mĂȘme les mensonges n’arrivent pas Ă  cacher) rend les victimes encore plus vulnĂ©rables ; elle confĂšre une sorte de dimension biblique Ă  l’agression : l’autoritĂ© d’une intervention divine implacable, et, en face, les objets de l’ire divine, niĂ©s Ă  la fois moralement et ontologiquement. Le rĂ©sultat de ces exactions est le paradoxe suivant : plus les agressions israĂ©liennes sont brutales, plus nous estimons coupables ceux qui en sont les victimes. Plus les IsraĂ©liens sont ouvertement hors-la-loi, plus la RĂ©sistance, et jusqu’à l’existence des Palestiniens semblent injustes et condamnables.

Aux yeux du monde, la capture lĂ©gitime d’un soldat envahisseur apparaĂźt, de fait, immĂ©diatement comme un crime monstrueux et la cause premiĂšre de la monstrueuse rĂ©ponse israĂ©lienne. Une rĂ©ponse qui menace de massacrer un million deux cent mille personnes et de dĂ©truire deux pays souverains ; la source religieuse de la lĂ©gitimation du sionisme est ce concept euphĂ©mique que des lĂąches appellent « recours proportionnĂ© Ă  la force » : Ă  toute dĂ©fense face Ă  l’occupation rĂ©pond un cataclysme, et la « disproportion » mĂȘme de ce chĂątiment prouve bien, simultanĂ©ment, l’existence de Yahweh et l’abjection de la victime.

Aucun Auschwitz n’a jamais renfermĂ© 1 200 000 prisonniers ; mais c’est ce que fait Gaza. Aucun Auschwitz n’a jamais Ă©tĂ© ouvertement cĂ©lĂ©brĂ© ni acceptĂ© ; c’est le cas de Gaza. Ce que les nazis ont cachĂ© – maniĂšre pour eux de rendre leurs victimes sacrĂ©es – IsraĂ«l l’exhibe sans honte – maniĂšre pour lui de rendre son agression sacrĂ©e. La publicitĂ© du crime alimente les ressources religieuses et extralĂ©gales qui gisent au cƓur du sionisme, offrant au monde sa justification controuvĂ©e. Mais IsraĂ«l ne pourra pas indĂ©finiment poursuivre cette agression religieuse devant toute l’humanitĂ© sans susciter des rĂ©bellions, son propre effondrement, voire les deux.

IsraĂ«l n’est peut-ĂȘtre pas l’État le plus injuste et criminel de l’Histoire, mais c’est un État qui perpĂštre ses crimes depuis le plus longtemps sans discontinuer et avec la plus grande impunitĂ©. Il est nĂ© d’un crime, et chaque minute de la « normalitĂ© » de ses citoyens est contemporaine d’un nouveau crime. Il a en permanence ses origines criminelles devant les yeux, et il vit en permanence dans la gĂ©nĂ©ralisation de sa violence originelle, comme ces malĂ©dictions des tragĂ©dies grecques. Au cours d’une interview, remontant Ă  1984, Ariel Sharon disait qu’il Ă©tait prĂȘt Ă  tuer un ou deux millions d’Arabes si cela pouvait faire en sorte qu’IsraĂ«l devienne un « pays normal », avec un passĂ© immoral, certes, mais avec un prĂ©sent propre et dĂ©cent. Il entendait, par lĂ , que les Palestiniens sont nos « Indiens », nos « Morisques », nos « juifs ».

Eh bien non ! : tant que vos « juifs » palestiniens rĂ©sisteront, vous serez condamnĂ©s Ă  vivre en permanence dans votre passĂ© criminel (et Ă  devoir Ă©quilibrer ces origines criminelles avec vos origines « mythologiques » : l’Holocauste). Ce faisant, vous serez obligĂ©s de violer toutes les lois, de tuer des enfants dans leur lit, de dĂ©molir des maisons, de dĂ©raciner des vergers, d’ériger des murailles, de kidnapper des femmes, de bombarder des mosquĂ©es, d’enfermer des millions de personnes dans des ghettos oĂč elles seront condamnĂ©es Ă  tenter de survivre et de se morfondre dehors, de tuer des milliers de personnes de faim et de soif, de devenir fous Ă  cause de cette hubris de Yahweh
 et d’exporter votre terreur au Liban, en Syrie et peut-ĂȘtre en Iran. Votre loi implique nĂ©cessairement ce dilemme mortel : soit la Domination, soit l’Apocalypse.

Dans sa forge, IsraĂ«l met le mĂ©pris de la vie propre Ă  Al QaĂŻda, le « fondamentalisme » de l’Iran, l’ancien racisme de l’Afrique du Sud, l’arsenal nuclĂ©aire de la CorĂ©e du Nord, l’ancien nationalisme colonial de la Belgique et la puissance militaire de la Chine. Cette concentration inouĂŻe de tous les dangers, incrustĂ©e dans la rĂ©gion la plus fragile et la plus convoitĂ©e de la planĂšte, est soutenue – militairement et politiquement – par les États-Unis, une superpuissance impĂ©rialiste dĂ©bridĂ©e. Elle est Ă©galement admise tant par l’Union europĂ©enne que par la plupart des gouvernements du reste du monde, y compris les rĂ©gimes arabes tyranniques et ineptes. Ceux qui ne voient pas le danger, dans cette conjonction d’élĂ©ments, hurlent leur priĂšre Ă  l’Ange Exterminateur.

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

Le danger : une guerre sans fin, plus le fanatisme

par RaĂșl SĂĄnchez Cedillo

Nous avons publiĂ© « C’est IsraĂ«l, le danger », de Santiago Alba-Rico, dans le numĂ©ro 35 de Diagonal (p. 5). L’auteur affirme, dans cet article, que « depuis plus de soixante ans, l’Occident investit des sommes sans prĂ©cĂ©dent [
] Ă  seule fin de cacher deux idĂ©es [
] : que la Palestine reprĂ©sente la faille morale du monde globalisĂ©, le point de rupture sur lequel le monde est d’ores et dĂ©jĂ  en train de se fracturer. Quant Ă  la seconde, c’est qu’IsraĂ«l constitue la plus grande menace [
] pour tout espoir de paix et de stabilitĂ© sur notre planĂšte. » Nous rĂ©pondons ici Ă  ce texte.

En dĂ©pit de la difficultĂ© inhĂ©rente Ă  cette question, j’irai droit au but : la thĂšse d’Alba Rico, exposĂ©e dĂšs le titre et parcourant son texte telle un fil rouge, est bien connue de nous tous, car elle fait partie de cette guerre de dĂ©clarations Ă  l’emporte-piĂšce qui, depuis le dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle, accompagne la dispute territoriale entre les Arabes palestiniens et les juifs (lesquels devinrent des IsraĂ©liens, aprĂšs 1948). Mais ce qu’il y a de perturbant, lĂ -dedans, c’est que cette contribution d’un Occidental – sympathisant de la cause palestinienne et donc, du mĂȘme coup, partisan du panarabisme – n’ajoute rien de nouveau Ă  la problĂ©matique : ni de nouvelles idĂ©es, ni de nouveaux arguments, ni de nouvelles propositions ou de nouvelles approches. En lieu et place, il contribue Ă  consolider (dans [le contexte de] notre inclination Ă©thique aussi bien que [de] notre indignation face Ă  une guerre sans fin dans laquelle semble s’installer aujourd’hui le conflit palestino-israĂ©lien, et [de] notre dĂ©sespoir devant la souffrance ininterrompue des populations du Moyen-Orient – Ă  la fois la haine et le fanatisme qui prĂ©cisĂ©ment vont [immanquablement] nous empĂȘcher de dire ou de faire quoi que ce soit de pertinent, en tant qu’Occidentaux, quoi que ce soit qui soit autre chose que le fait d’ajouter tant notre aspiration Ă  la vengeance que notre cĂ©citĂ© Ă  un conflit qui a cessĂ© d’ĂȘtre [seulement] rĂ©gional depuis fort longtemps. Un conflit, comme le fait observer Alba Rico, qui se dirige vers une catastrophe de nature Ă  dĂ©truire notre capacitĂ© de rĂ©sistance rationnelle et collective, et qui nous contraindra, Ă  n’en pas douter, Ă  recevoir en partage notre quota d’horreur et de mort. NĂ©anmoins, il semble que cet « anti-impĂ©rialisme » dĂ©bridĂ© considĂšre que certaines catastrophes seraient plus acceptables que d’autres


Comparaisons

Dans son allĂ©gation, Alba Rico ne laisse de cĂŽtĂ© aucune ressource rhĂ©torique pour approfondir la plaie de la souffrance et pour la transformer en un encouragement Ă  la rage anti-israĂ©lienne. Toutefois, jusqu’à prĂ©sent, il n’y a que dans des textes rĂ©visionnistes que nous ayons constatĂ© des vertus heuristiques de la comparaison ainsi poussĂ©es Ă  l’extrĂȘme, comme cette juxtaposition des capacitĂ©s respectives de Gaza et d’Auschwitz Ă  contenir des prisonniers – et, bien entendu [Ă  en croire Alba Rico], le premier de ces « camps » est, de loin, le pire. Posons-nous, voulez-vous bien, la question suivante, sans mĂȘme nous demander ce que le cĂ©lĂšbre rĂ©visionniste Mahmoud Ahmadinejad pourrait bien en penser : quelle cause peut-elle bien avoir amenĂ© des Ă©crivains de gauche Ă  avoir un tel mĂ©pris tant pour la signification historique et Ă©thique de la Shoah que pour cette invention humaine dĂ©nommĂ©e Vernichtungslager, c’est-Ă -dire : camp d’extermination ? Quelle cause a-t-elle bien pu conduire Ă  une telle comparaison outrageante, qui est l’exact contraire de l’exercice tant de la mĂ©moire que de la rĂ©flexion appliquĂ©es Ă  la chose la plus terrible de l’histoire contemporaine ? Une chose qui, comme l’a Ă©crit Primo Levi, a imprimĂ© de maniĂšre indĂ©lĂ©bile sur notre peau « la honte d’ĂȘtre des hommes » ? Une partie de la gauche occidentale, qui se considĂšre « anti-impĂ©rialiste », est tombĂ©e malade de fanatisme et d’imposture, devant une rĂ©alitĂ© qu’elle ne comprend plus ; alors, elle s’accroche Ă  certains mythes, qui ne sont ni fondĂ©s sur des ĂȘtres humains rĂ©els, ni sur les causes de leur incommensurable souffrance.

Une nouvelle narration

Rien, absolument rien ne pourra empĂȘcher que les faucons israĂ©liens, qui sont nombreux, n’entraĂźnent leur pays au dĂ©sastre, ni que les apĂŽtres jihadistes de diverses confessions ne coulent Ă  jamais tant la cause que l’existence mĂȘme du peuple palestinien, en tant que sujet collectif, si nous ne sommes pas capables, tout de suite, de crĂ©er da capo une nouvelle narration tant du problĂšme palestinien que du conflit palestino-israĂ©lien qui soient susceptibles de nous permettre de penser et de pratiquer une rĂ©sistance qui conduise Ă  la paix dans la rĂ©gion [et dans le monde], ainsi que de rĂ©aliser une justice qui ne signifie en rien l’annihilation de l’ennemi mortel de l’autre. Mais il faudra soumettre Ă  la critique toutes les narrations fixant les termes d’une guerre entre des peuples et des États. Il ne saurait y avoir de justification historique ni Ă  la conquĂȘte – le « grand IsraĂ«l » - ni Ă  la « grande vengeance » encryptĂ©e depuis la fondation de l’État d’IsraĂ«l dans le mot d’ordre de « jeter les juifs Ă  la mer ».

Nationalismes

A cette fin, nous avons besoin de rigueur, c’est-Ă -dire du contraire de la dĂ©formation des perspectives – cette Umkehrung, dans laquelle le meilleur des Nietzsche focalisait sa bataille solitaire contre la « rabies nationalis », c’est-Ă -dire ces « sentiments de vengeance et de ressentiment », qui Ă©taient dĂ©jĂ  concentrĂ©s, Ă  la fin du vingtiĂšme siĂšcle, sur les apĂŽtres d’un « antisĂ©mitisme » sorti des presses, Ă  l’époque. Le « sionisme », tellement vilipendĂ©, fut le fruit d’une « rabies nationalis », d’une « rage nationaliste », qui dĂ©vasta la premiĂšre moitiĂ© du vingtiĂšme siĂšcle, et causa aux juifs d’Europe la plus atroce souffrance de toute leur histoire en tant que communautĂ©. Le sionisme et un nationalisme, c’est la volontĂ© collective d’avoir un pays, portĂ©e par ceux qui n’en ont jamais eu, depuis la Diaspora. Le sionisme est-il pire que n’importe quel autre nationalisme, en particulier depuis la disparition du contenu progressiste de la « libĂ©ration nationale » (avec son corollaire, dans l’extraordinaire conjecture, tant chez LĂ©nine que chez d’autres auteurs : la rĂ©volution socialiste) ? De ce point de vue, le sionisme, certes, est porteur d’autant de violence qu’en comporte inĂ©vitablement la construction de toute nation.

Toutefois, le sionisme est [ici] accusĂ© d’un « crime » : le fait d’avoir Ă©tĂ© constituĂ© en État, en 1948, aprĂšs que les Nations Unies se furent lavĂ©es les mains en pondant une rĂ©solution fixant les modalitĂ©s d’un partage du territoire colonial de la Palestine, amenant des hommes politiques responsables (tant Arabes que Palestiniens) ne l’acceptant pas, Ă  dĂ©clarer la guerre Ă  l’État d’IsraĂ«l encore dans ses langes. Ou bien alors, peut-ĂȘtre le crime Ă©tait-il cette migration progressive de pionniers juifs, depuis le dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle, qui allaient s’installer en Palestine, afin d’y acheter des terres et de bĂątir une communautĂ© politique, et un futur État juif ? La Nakba [catastrophe] palestinienne a alors commencĂ©, au moment oĂč le rejet par des Ă©lites panarabes de ce qui avait Ă©tĂ© irrĂ©versiblement prĂ©sentĂ© comme une dĂ©faite politique et militaire qui n’a fait que s’aggraver depuis lors. LĂ  rĂ©side la tragĂ©die permanente, marquĂ©e par la guerre, par la rĂ©sistance et les innombrables dĂ©sastres politiques et diplomatiques tant des divers leaderships palestiniens que des États panarabistes, depuis la Guerre des Six Jours jusqu’à l’autodissolution de l’OLP consĂ©cutive Ă  la signature d’Oslo.

Nul ne saurait dissimuler les terribles crimes, prĂ©sents et passĂ©s, de l’État d’IsraĂ«l ; l’épuration ethnique perpĂ©trĂ©e tant par l’Irgoun que par la Haganah durant la guerre de 1948 et connue, dĂ©sormais, grĂące aux « nouveaux historiens israĂ©liens », ni la folie incarnĂ©e par les Ă©lites israĂ©liennes, voici quelques annĂ©es de cela. NĂ©anmoins, l’existence d’IsraĂ«l ne saurait ĂȘtre remise en cause, tout au moins en tant que point de dĂ©part vers une perspective de paix et de justice. En 1968, Jean-Paul Sartre considĂ©rait « insensĂ© » d’attribuer le « rĂŽle de l’agresseur » Ă  l’État d’IsraĂ«l, dans la guerre de 1948. Le recours intoxiquant Ă  la vieille histoire des « complots sioniste et impĂ©rialiste » Ă  propos de la crĂ©ation d’IsraĂ«l a, depuis lors, contribuĂ© – et continue Ă  contribuer, aujourd’hui – Ă  rendre inaccessible l’objectif historique du peuple palestinien, Ă  savoir un État viable et dĂ©mocratique, dans la rĂ©gion.

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier.

Le danger, c’est le bourrage de crñne

par Gilad Atzmon

Les annĂ©es m’ont appris que si les dĂ©bats intellectuels et les controverses idĂ©ologiques sont censĂ©s constituer des Ă©vĂ©nements Ă©clairants, dans la plupart des cas, ils sont dans la plupart des cas emmerdants comme la pluie. Reste qu’une bonne maniĂšre d’épicer un peu un dĂ©bat fadasse consiste Ă  dĂ©noncer les diverses mĂ©thodes et tactiques auxquelles les dĂ©batteurs ont recours. Autrement dit : plutĂŽt que d’essayer d’évaluer ou de saisir un argument donnĂ© en fonction de ce qu’il entend Ă©ventuellement rĂ©vĂ©ler, on peut s’efforcer de mettre au jour ce qu’un argument donnĂ© a pour seule fin de cacher.

Dans un article rĂ©cemment publiĂ© par Diagonal sous le titre « C’est IsraĂ«l, le danger », Santiago Alba Rico affirme qu’IsraĂ«l reprĂ©sente la plus grave menace pour la paix mondiale. Il semble qu’Alba Rico retire une vision Ă©thique de ce qu’est IsraĂ«l de la derniĂšre phase atteinte par la brutalitĂ© israĂ©lienne. De fait, Ă  en juger au niveau d’agression atteint par IsraĂ«l au Liban et Ă  Gaza l’étĂ© dernier, il ne reste guĂšre d’espace pour le doute. IsraĂ«l est moralement en faillite.

Bien qu’Alba Rico prĂ©sente une argumentation valable, pertinente, aiguisĂ©e, concise et nette, sa base de dĂ©part est quelque peu Ă©vidente. Il se contente d’accuser de meurtre l’assassin en plein jour. NĂ©anmoins, c’est en cela que rĂ©side la trĂšs grande force de son argumentation. Des penseurs remarquables sont capables de faire en sorte que la complexitĂ© semble simple, rĂ©trospectivement. Leur rĂŽle consiste Ă  crier que le roi est nu, avant que quiconque d’autre ne l’ait fait. Les grands philosophes n’ont pas besoin de raisonnements historiques. Ils se dĂ©brouillent trĂšs bien, en l’absence de toute piĂšce Ă  conviction. Ils vivent trĂšs bien sans rĂ©fĂ©rences bibliographiques et sans citations interminables. Ils se contentent de communiquer raisonnablement, en appliquant la raison. Les philosophes qui, de surcroĂźt, s’attĂšlent aux questions morales, ont tendance Ă  ĂȘtre en phase avec les esprits libres et Ă©thiques. C’est lĂ , trĂšs prĂ©cisĂ©ment, ce que fait Alba Rico, avec grand succĂšs.

Alba Rico n’est pas un politicien ; il ne cherche pas Ă  suggĂ©rer une solution au conflit, il ne lance aucun appel Ă  « jeter les juifs Ă  la mer ». Il se contente de faire observer qu’IsraĂ«l est en train de nous conduire Ă  une catastrophe imminente.

La tĂąche d’Alba Rico semble aisĂ©e ; fondamentalement, il accuse de meurtre le massacreur en plein jour. En revanche, SĂĄnchez Cedillo vise l’impossible : dans un article publiĂ© dans Diagonal (« Le danger : une guerre sans fin, plus le fanatisme »), SĂĄnchez Cedillo tente de rĂ©futer Alba Rico en se faisant l’avocat d’IsraĂ«l


De fait, SĂĄnchez Cedillo s’attelle Ă  une tĂąche quasi impossible ; il se lance sur une piste que mĂȘme les sionistes s’efforcent d’éviter, et ce, depuis pas mal de temps. En fait, les sionistes ne tiennent plus de « discours d’autojustification ». Avec le soutien de l’AmĂ©rique et des centaines de bombes nuclĂ©aires Ă  leur disposition, le droit Ă  l’existence d’IsraĂ«l est maintenu Ă  la pointe de l’épĂ©e, ou plus prĂ©cisĂ©ment, par des millions de bombes amĂ©ricaines Ă  sous-munitions, prĂȘtes Ă  ĂȘtre lancĂ©es.

La dĂ©cision qu’a prise SĂĄnchez Cedillo de dĂ©fendre une argumentation en faveur de l’existence de l’ « État rĂ©servĂ© aux seuls juifs » [le ‘Jews Only State’, le JOS, NdT], doit donc ĂȘtre perçue comme une tĂąche hĂ©roĂŻque. AprĂšs JĂ©nine, aprĂšs Gaza et aprĂšs Beyrouth, il est extrĂȘmement difficile d’offrir Ă  IsraĂ«l une dĂ©fense et illustration morale. SĂĄnchez Cedillo fait du mieux qu’il peut, et c’est la raison pour laquelle un examen scrupuleux de son argumentation est extrĂȘmement important, car il nous permet d’avoir un aperçu de ce qui reste du « discours d’autojustification » sioniste.

Bourrage de crĂąne

Il est parfaitement Ă©tablit que, dans le discours libĂ©ral dĂ©mocratique d’aprĂšs-guerre, celui qui domine le « signifiĂ© » et celui qui donne sa forme Ă  la rĂ©alitĂ©. Autrement dit, si vous voulez gagner, vous devez apprendre Ă  maĂźtriser la propagande. Bourrer le crĂąne aux gens, c’est leur dicter des signifiĂ©s. Faire de la propagande, c’est aider les gens Ă  cesser de penser de maniĂšre indĂ©pendante et Ă©thique. C’est dĂ©tourner l’attention du public, c’est dĂ©tacher l’auditoire de la rĂ©alitĂ©, c’est dĂ©tacher les gens d’eux-mĂȘmes, c’est rendre les individus aveugles Ă  leurs propres intuitions premiĂšres.

1 – Nom de code : ‘IsraĂ«l’

Les sionistes ont tendance Ă  dissimuler le fait qu’IsraĂ«l n’est rien d’autre qu’un nom de code pour un État national expansionniste aux fondements raciaux. IsraĂ«l est, fondamentalement, un nom de code servant Ă  dĂ©signer l’ « État rĂ©servĂ© aux seuls juifs ». IsraĂ«l n’est pas simplement un État-nation innocent comme tente de nous le faire accroire SĂĄnchez Cedillo, il s’agit bien plutĂŽt d’un État raciste, aux lois discriminatoires dĂ©jĂ  dĂ©noncĂ©es par Hannah Arendt dans les annĂ©es 1960, et qui ne diffĂšrent pas catĂ©goriquement des infĂąmes lois de Nuremberg.

Une fois que vous avez compris que le ‘signifiant’ IsraĂ«l n’est rien d’autre qu’un ‘truc’ dont la seule raison d’exister est de dissimuler le sinistre agenda sioniste raciste, vous ĂȘtes fondĂ© Ă  remplacer le terme soi-disant innocent d’ « IsraĂ«l » par sa signification rĂ©elle, Ă  savoir l’ « État rĂ©servĂ© aux seuls juifs. »

Dans son commentaire, SĂĄnchez Cedillo suggĂšre que « l’existence d’IsraĂ«l ne saurait ĂȘtre remise en cause, tout au moins en tant que point de dĂ©part vers une perspective de paix et de justice. »

A premiÚre vue, cette citation semble une affirmation innocente et légitime. Toutefois, une fois le mot « Israël » remplacé par sa véritable signification idélogique, nous obtenons :

« l’existence de l’État rĂ©servĂ© aux seuls juifs ne saurait ĂȘtre remise en cause, tout au moins en tant que point de dĂ©part vers une perspective de paix et de justice » 

A l’évidence, du point de vue Ă©thique, la citation modifiĂ©e est une absurditĂ© qui en dit long. A l’évidence, le concept d’ « État rĂ©servĂ© aux seuls juifs » doit ĂȘtre remis en cause avant toute discussion Ă  propos de « la paix » ou de « la justice ». Ce qui est trĂšs inquiĂ©tant, c’est le fait que SĂĄnchez Cedillo, tout en le sachant parfaitement, prĂ©fĂšre, plutĂŽt que raisonner avec ses lecteurs, les embobiner, dĂ©tourner leur attention, Ă  seule fin de gagner la partie, tout en dissimulant la vĂ©ritĂ©.

2 – Aucun business n’arrive à la cheville du Shoah business

Dans sa rĂ©futation, SĂĄnchez Cedillo repousse toute comparaison entre Auschwitz et Gaza. Son argumentation semble valide, Ă  premiĂšre vue : alors qu’Auschwitz Ă©tait un « camp de la mort », Gaza est « simplement » une prison gĂ©ante, oĂč plus d’un million de prisonniers affamĂ©s sont bombardĂ©s et investis quotidiennement par la puissante armĂ©e de l’ « État rĂ©servĂ© aux seuls juifs ». Et puis, regardons les choses en face : ces prisonniers respirent encore ! Il peut se faire que quelqu’un admette qu’il s’agit lĂ  vĂ©ritablement d’un argument imparable, dĂšs lors que le quelqu’un en question a Ă©tĂ© mentalement, intellectuellement, Ă©motionnellement ou physiquement circoncis. De fait, les sionistes et leurs thurifĂ©raires ont un mal fou Ă  comprendre la raison pour laquelle l’argument citĂ© plus haut n’arrive pas Ă  franchir les murs du ghetto juif et du discours sionocentrique.

Je vais essayer des les aider. DĂšs lors que ce sont prĂ©cisĂ©ment les sionistes et leurs thurifĂ©raires qui bloquent catĂ©goriquement tout processus de rĂ©examen et de rĂ©vision de la Seconde guerre mondiale et du judĂ©ocide nazi, la Shoah est en train de se transformer rapidement en un bourrage de crĂąne politique, en cessant d’ĂȘtre un enrichissement moral vivant et authentique. Au lieu d’exercer leur esprit critique Ă  propos de l’Holocauste, les EuropĂ©ens sont aujourd’hui assujettis Ă  des lois qui dĂ©terminent la vĂ©ritĂ© de ce que fut Auschwitz. PlutĂŽt que de se confronter Ă  Auschwitz du point de vue Ă©thique en tant qu’ĂȘtres libres, les EuropĂ©ens sont condamnĂ©s Ă  accepter une unique narration strictement dĂ©limitĂ©e et ayant une implication morale et politique trĂšs prĂ©cise, pour ne pas dire une interprĂ©tation. Autrement dit, c’est l’hĂ©gĂ©monie sioniste sur le discours historique qui a transformĂ© Auschwitz en un fait isolĂ© et momifiĂ©, qui continue Ă  perdre sa pertinence tandis mĂȘme que je finis d’écrire cette phrase.

En revanche, la rĂ©alitĂ© de Gaza, de JĂ©nine, de Bint JbeĂŻl et de la banlieue sud de Beyrouth est le rĂ©sultat d’une rĂ©action authentiquement Ă©thique se dĂ©veloppant Ă  l’intĂ©rieur de toute pensĂ©e et de tout esprit libres. Éprouver de l’empathie pour les Palestiniens est la consĂ©quence directe du simple fait d’ĂȘtre au monde. C’est la raison pour laquelle cette empathie prend de si nombreuses formes, de si nombreux aspects. Alors qu’Auschwitz est devenu partie intĂ©grante de la politique occidentale contemporaine et qu’il est intrinsĂšquement associĂ© Ă  tout ce que nous dĂ©testons dans le discours politique occidental, ressentir de l’empathie envers les Palestiniens, c’est rĂ©dimer l’humanisme, c’est prendre fait et cause pour David et l’aider Ă  vaincre Goliath.

L’invocation des grands gourous

Parvenu au terme de sa rĂ©futation, SĂĄnchez Cedillo martelle que « l’existence d’IsraĂ«l ne saurait ĂȘtre remise en cause ». Au cas oĂč quelqu’un se demanderait : « pour quelle raison, au juste ? », SĂĄnchez Cedillo s’empresse d’apporter la rĂ©ponse : « En 1968, Jean-Paul Sartre considĂ©rait « insensĂ© » d’attribuer le « rĂŽle de l’agresseur » Ă  l’État d’IsraĂ«l, dans la guerre de 1948 ». Alors, pensez-vous en vous-mĂȘme, « l’ « État rĂ©servĂ© aux seuls juifs » devrait se voir accorder un droit inconditionnel et illimitĂ© dans le temps Ă  exister, simplement parce que le grand Jean-Paul Sartre Ă©tait soit mal informĂ©, soit intellectuellement handicapĂ©, en 1968 » ? ! ?

Permettez-moi de suggĂ©rer que s’il s’agit lĂ  de la meilleure entourloupe dont soient capables les dĂ©fenseurs d’IsraĂ«l, IsraĂ«l et le sionisme feraient mieux de ne compter que sur leurs canons, leurs chars et leurs avions de guerre ! Ne serait-ce qu’intellectuellement, le droit Ă  l’existence de l’ « État rĂ©servĂ© aux seuls juifs » est en effet manifestement insupportable.

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

La paix exige la disparition du sionisme

par Khalid Amayreh

Je suis un Palestinien, qui vit depuis plus de 39 ans sous le joug de l’occupation militaire israĂ©lienne, et qui a perdu trois oncles innocents sous les balles de l’occupant. En tant que tel, je devrais pouvoir sans problĂšme comparer IsraĂ«l Ă  l’Allemagne nazie.

Il est Ă©videmment vrai qu’IsraĂ«l n’a pas mis en place des chambres Ă  gaz dans les villes et villages palestiniens. Cependant, comme de par le passĂ©, IsraĂ«l tue et tourmente sans trĂȘve les Palestiniens en utilisant toute une variĂ©tĂ© de mĂ©thodes qui, par leur brutalitĂ© et leur malfaisance absolue, ne diffĂšrent pas significativement, par essence, du comportement des nazis.

En outre, il est d’une importance cruciale de se rappeler que l’holocauste nazi n’a pas dĂ©butĂ© avec Auschwitz ni Bergen-Belsen, mais bien plutĂŽt avec une idĂ©e, un livre et une “Nuit de Cristal”, le genre de choses qui, de nos jours, abondent sans frein dans l’imaginaire collectif israĂ©lien, tandis que la sociĂ©tĂ© juive israĂ©lienne continue de dĂ©river vers un fascisme religieux et ultra-nationaliste.

Ce n’est pas un glissement du sionisme libĂ©ral vers un sionisme religieux, comme le soutiendraient certains apologues pro-IsraĂ©liens. Il n’y a rien qui ressemble de prĂšs ou de loin Ă  un “sionisme libĂ©ral” ou Ă  un “sionisme dĂ©mocratique”. Ce sont des expressions contradictoires, [des oxymorons, NdT].

On nous dit que le propos du sionisme est de “construire un foyer national pour les juifs.” Cependant, pour ses millions de victimes, le sionisme, c’est le dĂ©racinement et l’expulsion de la majeure partie du peuple palestinien hors de son foyer ancestral, et sa dispersion vers les quatre coins du monde, par le biais de la terreur organisĂ©e et de la violence. C’est lĂ  le hideux visage du sionisme que l’Occident, en grande part, refuse de regarder en face.

En effet, dĂšs ses balbutiements, le sionisme considĂ©rait la Palestine comme “une terre sans peuple pour un peuple sans terre”. Cette nĂ©gation arrogante de l’existence mĂȘme de mon peuple ne trouve pas son origine dans une ignorance de la rĂ©alitĂ©. C’Ă©tait l’expression d’un racisme violent et virulent, trĂšs semblable Ă  celui des barbares europĂ©ens blancs qui exterminĂšrent six millions d’autochtones amĂ©rindiens et nommĂšrent ce gĂ©nocide “Destin manifeste”. [1]

Les sionistes savaient fort bien que la Palestine Ă©tait peuplĂ©e de centaines de milliers de chrĂ©tiens et de musulmans. En 1898, une dĂ©lĂ©gation sioniste, qui visitait la Palestine pour Ă©valuer dans quelle mesure il Ă©tait faisable de la transformer en un État juif, envoya un tĂ©lĂ©gramme lapidaire qui rĂ©sumait la situation. “La mariĂ©e est superbe, mais elle est l’Ă©pouse d’un autre homme.” NĂ©anmoins, le mouvement sioniste persista dans sa dĂ©termination inflexible Ă  vouloir ravir la mariĂ©e Ă  son Ă©poux lĂ©gitime.

Ce fut un viol pur et simple, c’est encore un viol pur et simple, et ce sera toujours un viol, et rien n’y change, que les faiseurs de mythes soient cĂ©lĂ©brĂ©s et leurs mythes glorifiĂ©s.

En fait, malgrĂ© dĂ©jĂ  cinquante annĂ©es d’existence de l’ “État des juifs”, le but inavouĂ© et cependant ultime d’IsraĂ«l demeure l’expulsion des Palestiniens, en majoritĂ© ou en totalitĂ©, hors de la zone qui s’Ă©tend du fleuve Jourdain jusqu’Ă  la mer MĂ©diterranĂ©e.

En effet, n’importe quel observateur occasionnel des mĂ©dias israĂ©liens sera confrontĂ© ces temps-ci, quasi quotidiennement, Ă  des remarques et des dĂ©clarations Ă©manant d’officiels israĂ©liens, parmi lesquels des membres de la Knesset [2] et des ministres, qui en appellent Ă  un “transfert” des Palestiniens, pas seulement hors de la Cisjordanie, de Gaza et de JĂ©rusalem-Est, mais aussi hors d’IsraĂ«l lui-mĂȘme.

“Transfert”, voilĂ  un mot qui est loin d’ĂȘtre innocent. Ce n’est rien d’autre qu’un euphĂ©misme pour “gĂ©nocide”, au moins un gĂ©nocide partiel, puisqu’il est Ă  peu prĂšs impossible de mener Ă  bien l’expulsion en masse et le nettoyage ethnique de millions de personnes hors de leur patrie sans recourir au meurtre et Ă  la terreur de masse.

Eh bien, n’est-ce pas justement la mĂ©thode qu’utilisĂšrent avec libĂ©ralitĂ© les lĂ©gions sionistes en 1948, afin de forcer la majeure partie des Palestiniens Ă  quitter leurs villes et villages ? [3] Dans son livre “The Revolt” [4], Menahem Begin n’a-t-il pas comparĂ© le massacre de Deir Yassin Ă  un miracle parce qu’il poussa des centaines de milliers de Palestiniens terrorisĂ©s Ă  fuir ?

Nous devons impĂ©rativement appeler une pioche une pioche, particuliĂšrement lorsqu’elle est entre les mains de nos fossoyeurs [5]. Les sionistes sont comparables aux nazis, parce que leurs actions et leur comportement sont comparables et similaires aux actions et au comportement des nazis.

Car, si les nazis cherchĂšrent Ă  effacer les juifs en tant que peuple, les sionistes [6] ont cherchĂ© Ă  effacer les Palestiniens en tant que peuple. Il ne s’agit pas seulement du dĂ©dain de Golda Meir demandant “Quels Palestiniens ?” ou de certains officiels israĂ©liens nous qualifiant avec mĂ©pris de “Gens de nulle part” [7]. La destruction systĂ©matique de quelques 460 villes et villages palestiniens par IsraĂ«l (1948-1952) fut un acte nazi de premier ordre, qui impliquait une indiffĂ©rence et une nĂ©gation absolues de et envers “l’Autre”, sans nulle raison que la non-judĂ©itĂ© des victimes. (Les maigres ruines de certaines de ces localitĂ©s peuvent encore ĂȘtre observĂ©es aujourd’hui, et ont fait l’objet d’une documentation et d’une recension mĂ©ticuleuse dans l’ouvrage monumental de Walid KhĂąlidĂź “All that Remains”) [8].

Malheureusement, ce modus operandi [9], fait de racisme haineux et de terreur, reste central dans la politique israĂ©lienne envers le peuple palestinien. Il n’y a pas de preuve plus flagrante des intentions malveillantes d’IsraĂ«l que la construction Ă  marche forcĂ©e de centaines de colonies exclusivement juives en territoire occupĂ©. Oui, tout ici est “rĂ©servĂ© aux juifs”. Colonies “rĂ©servĂ©es aux juifs”, routes “rĂ©servĂ©es aux juifs”, piscines “rĂ©servĂ©es aux juifs”, et mĂȘme les droits “rĂ©servĂ©s aux juifs”, puisque les non-juifs sont considĂ©rĂ©s, par une fraction des juifs israĂ©liens qui va s’Ă©largissant, comme les fils d’un Dieu infĂ©rieur, voire carrĂ©ment comme de simples animaux.

Et maintenant, voilĂ  que nous avons ce mur gigantesque et malĂ©fique, dont le but prĂ©tendu est d’empĂȘcher les combattants palestiniens de s’infiltrer en IsraĂ«l, alors que son objectif rĂ©el est d’annexer et de voler la part la plus Ă©tendue possible du territoire palestinien.

En 2004, la Cour internationale de Justice de La Haye a jugĂ© que le Mur Ă©tait illĂ©gal et devait ĂȘtre dĂ©mantelĂ©. Pourtant, IsraĂ«l, soutenu par son alliĂ©-garde du corps, les États-Unis, a bravĂ© le jugement avec arrogance, accusant implicitement la Cour et ses juges d’antisĂ©mitisme.

Outre les colonies, dans lesquelles demeurent les juifs les plus violents et racistes qu’on puisse trouver au monde, IsraĂ«l a toujours cherchĂ© Ă  rendre la vie des Palestiniens si insupportable qu’ils soient contraints Ă  l’Ă©migration.

Afin de rĂ©aliser cet objectif malĂ©fique, les gouvernements israĂ©liens successifs (qu’ils soient menĂ©s par le Parti travailliste [10] ou le Likoud [11]) ont employĂ© toutes les astuces lĂ©gales concevables, y compris la mise en place d’un double systĂšme judiciaire, libĂ©ral pour les juifs, intraitable pour les non-juifs.

L’une des manifestations de cet apartheid judiciaire rĂ©side dans l’incarcĂ©ration Ă  durĂ©e flexible de milliers d’activistes, d’Ă©tudiants, de professionnels et de professeurs d’universitĂ© palestiniens, de mĂȘme que des politiciens, y compris des lĂ©gislateurs et des ministres, sans inculpation ni procĂšs. (Depuis 1967, IsraĂ«l a arrĂȘtĂ© plus de 800 000 Palestiniens).

Lorsqu’il est apparu que ce systĂšme de rĂ©pression institutionnalisĂ©e, notoirement insidieux, avait Ă©chouĂ© Ă  faire Ă©migrer les Palestiniens en nombre, IsraĂ«l recourut Ă  une violence physique Ă©hontĂ©e, terrorisant et tuant les Palestiniens Ă  la moindre “provocation”, une violence fort semblable Ă  celle des armĂ©es hitlĂ©riennes Ă  travers l’Europe occupĂ©e il y a plus de soixante ans.

Il allait sans dire que les incursions et les raids de “pacification” israĂ©liens laisseraient nombre d’enfants et de femmes sans vie, de maisons dĂ©truites, de fermes pulvĂ©risĂ©es, de meubles vandalisĂ©s, et de routes et infrastructures rasĂ©es au bulldozer. En bref, sous prĂ©texte de “combattre le terrorisme”, cette entitĂ© comparable aux nazis commet toutes formes concevables de crimes. Suite Ă  quoi la plupart des mĂ©dias occidentaux rĂ©pĂštent comme des perroquets la version israĂ©lienne, comme si les porte-parole de l’armĂ©e israĂ©lienne Ă©taient les parangons de la vĂ©racitĂ© et de l’honnĂȘtetĂ©.

En derniĂšre analyse, lorsque les juifs [12] (ou qui que ce soit d’autre) se comportent comme les nazis, ils doivent ĂȘtre comparĂ©s aux nazis. En effet, un pays qui envoie ses chasseurs-bombardiers F-16 larguer des bombes d’une tonne sur des immeubles rĂ©sidentiels au beau milieu de la nuit, oĂč sont endormis des femmes et des enfants, un tel pays fait preuve d’une mentalitĂ© moralement proche de celle de la Gestapo.

De plus, une armĂ©e dont les soldats assassinent avec insouciance et enthousiasme des enfants en chemin vers leur Ă©cole, puis s’assurent de leur dĂ©cĂšs en leur dĂ©chargeant vingt balles supplĂ©mentaires dans la tĂȘte, ainsi qu’il est arrivĂ© Ă  Iman Al Hamas dans la ville de Rafah il y a presque trois ans, et dont les soldats qui se sont ainsi comportĂ©s sont blanchis et reçoivent une compensation financiĂšre, une telle armĂ©e n’est pas rĂ©ellement une armĂ©e de soldats professionnels, mais une armĂ©e de voyous, de gangsters et de criminels de droit commun. C’est une armĂ©e qui ne diffĂšre que fort peu de la Wehrmacht [13].

Oui, des Palestiniens ont commis des attentats-suicide Ă  la bombe contre des civils israĂ©liens et ont tuĂ© des quantitĂ©s d’IsraĂ©liens innocents, souvent en reprĂ©sailles pour le massacre d’enfants palestiniens par l’armĂ©e israĂ©lienne et les colons juifs paramilitaires. Je condamne totalement et sans aucune hĂ©sitation ces crimes suicidaires commis contre des IsraĂ©liens innocents. [14]

NĂ©anmoins, IsraĂ«l ne peut pas mener les Palestiniens au bord de l’extermination physique et de leur disparition en tant que nation, et en mĂȘme temps hurler “Hamas, terrorisme, attentats-suicide”.

Le poÚte usaméricain Auden a écrit :

Le grand public et moi-mĂȘme savons
Ce que tous les Ă©coliers apprennent

Qui subit le mal

Fera le mal en retour” [15]

Et en effet, que ferait n’importe quel peuple aprĂšs 59 annĂ©es d’oppression “quasi-nazie” qui dĂ©fie l’imagination ? Que ferait n’importe quel peuple forcĂ© de choisir sa mort : dans l’abattoir juif [12] ou en commettant un attentat-suicide Ă  la bombe ?

IsraĂ«l affirme ne pas tuer dĂ©libĂ©rĂ©ment d’enfants ni de civils palestiniens. Il s’agit lĂ  d’un mensonge manifeste et Ă©hontĂ©. Une erreur peut se produire une, deux, dix fois. Mais lorsque le massacre de civils se produit quasi-quotidiennement, cela s’appelle une politique. En derniĂšre analyse, tuer sciemment, c’est tuer dĂ©libĂ©rĂ©ment.

Aujourd’hui, IsraĂ«l empĂȘche des millions de Palestiniens de se procurer nourriture et travail, ce dont furent Ă©galement empĂȘchĂ©s par la Gestapo les habitants du ghetto de Varsovie. A Gaza, IsraĂ«l a bombardĂ© et dĂ©truit la majeure partie des infrastructures civiles, incluant des Ă©coles, des universitĂ©s, des routes, des ponts, des oeuvres de charitĂ©, ainsi que des milliers de maisons, tout cela sous prĂ©texte de libĂ©rer un soldat israĂ©lien [16]. IsraĂ«l a Ă©galement dĂ©truit la seule centrale Ă©lectrique de Gaza, contraignant 1,4 million de GazaouĂŻtes Ă  vivre dans l’obscuritĂ© totale ou partielle. [17]

C’est toujours le mĂȘme IsraĂ«l qui vient de dĂ©truire une bonne partie du Liban et de larguer 1,5 million de bombes Ă  sous-munitions sur tout le Sud-Liban.

Eh bien, 1,5 million de bombes peuvent tuer au moins 1,5 million d’enfants.

Je sais parfaitement que les apologues pro-IsraĂ©liens, parmi lesquels certains s’affirment hĂ©ritiers de la grande tradition de gauche d’opposition Ă  l’oppression, sont tentĂ©s de façonner une certaine symĂ©trie morale entre IsraĂ«l et les Palestiniens.

Mais, honnĂȘtement, on pourrait demander : quelle symĂ©trie peut-il bien y avoir entre le violeur et sa victime, entre l’occupant et l’occupĂ©, entre le colon fanatique armĂ© et le paysan palestinien terrifiĂ© qui doit s’en remettre Ă  la protection des “volontaires de la paix” occidentaux face au vandalisme et Ă  la sauvagerie du colon ?

Y a-t-il il un espoir de solution pacifique Ă  cet amer conflit qui dure ? Certainement, et il rĂ©side dans le dĂ©mantĂšlement du sionisme et la crĂ©ation d’un État unique, civique et dĂ©mocratique en Palestine-IsraĂ«l, oĂč les juifs et les arabes vivraient en citoyens Ă©gaux comme vivent aujourd’hui en Europe de nombreux juifs et arabes.

Je dis que le sionisme doit disparaĂźtre car le concept d’ “État juif” implique nĂ©cessairement un racisme intrinsĂšque envers les non-juifs [16]. Heureusement, il existe des juifs [12] de conscience et de bonne volontĂ© qui s’accorderaient sur une telle solution. Ils sont nos partenaires naturels pour la paix.

Traduit de l’anglais en français par Xavier Rabilloud.

Laisser un commentaire